dimanche 1 décembre 2013

Marseille : un projet. Quel projet ?


Au lendemain de la défaite contre Arsenal, les mots concernant l’OM ont pu être durs. Certains n’hésitant pas à déclarer que les choix de Baup sont une insulte à la Ligue des champions. A tort ou à raison, ces déclarations ont le mérite de soulever le problème des clubs français et l’Europe. Pourtant à Marseille on continue de parler d’un projet.


En août dernier le président de l’OM, Vincent Labrune, évoquait la stratégie et les ambitions du club pour la saison à venir. Il espérait ainsi voir l’OM atteindre les huitièmes de finale de la ligue des champions sans oublier que le tirage au sort pourrait compliquer cet objectif. Pourtant, le président affirmait vouloir « chercher à gagner le plus de matches possibles, à faire honneur à nos couleurs, à emmagasiner de l’expérience pour, d’ici deux ou trois ans, être la belle surprise de la compétition. Un peu comme Dortmund  ».Cette simple déclaration peut soulever plusieurs interrogations sur le management marseillais. Le 11 de départ aligné par Elie Baup contre Arsenal fait-il honneur aux couleurs du club ? Qui a réellement emmagasiné de l’expérience ? Sur ce 11 de départ la moyenne d’âge était donc de 25 ans. On comptait aussi trois recrues du mercato comme titulaires : Khlifa, Imbula et Lemina. Ces deux derniers ont d’ailleurs été remplacés en cours du match où une troisième recrue, Thauvin, est entrée en jeu.

Des dépenses injustifiées 

Cet été Marseille a donc dépensé 42 millions d’euros pour 6 joueurs dont la moyenne d’âge est de 21,5 ans. En excluant Payet et Khalifa, la moyenne d’âge passe à 19,25 ans pour un montant de 31,5 millions d’euros. Environ 75% du budget alloué aux transferts a été consacré à des joueurs très jeunes, n’ayant encore rien prouvé en ligue 1 et encore moins au plus haut niveau. Si, effectivement, Thauvin sortait d’une bonne première saison en ligue 1 avec 10 buts et 3 passes décisives cela ne justifie pas pour autant un investissement de 15 millions d’euros. Imbula et Mendy avait joué la quasi-totalité de leurs saisons respectives  en deuxième division et ont couté à eux deux 11,5 millions d’euros ! Enfin les dix apparences de Mario Lemina sous le maillot de Lorient ont convaincu la direction Marseillaise de débourser 5 millions d’euros … D’ailleurs, si l’on s’intéresse aux valeurs de ces jeunes joueurs en juin 2013 on remarque immédiatement que le club a payé des sommes beaucoup trop élevées : Thauvin avait une valeur de 6 millions d’euros, Imbula était évalué à 3 millions d’euros, Mendy à 2 millions,et Lemina à 1 million d’euro.

S’il est habituel de payer un joueur au-dessus de sa valeur marchande, surtout s’il est jeune, cela reste dans les mesures du raisonnable. Depuis janvier 2012,  président Labrune parle pourtant d’économie, avec notamment une réduction d’environ 15% de la masse salariale (passée de 85 millions à 65 millions d’euros). Néanmoins, on ne peut pas dire que les dépenses soient réellement effectuées de manières judicieuses. Non pas qu’investir sur l’avenir soit une mauvaise idée, bien au contraire, mais il faut savoir investir de manière intelligente comme le font de très grands clubs européens et notamment les clubs allemands, aujourd’hui à la mode.


La hype allemande

Déjà évoqué dans un article, l’Allemagne du football fait aujourd’hui figure d’exemple à suivre, et les Marseillais ne dérogent pas à la règle. Et puisque Dortmund est cité par Vincent Labrune comme le modèle sur lequel Marseille s’inspire, faisons une comparaison avec les investissements du club de Rhénanie du nord trois ans avant leur conquête du titre en 2011, et leur finale de ligue des champions en 2013.

Evolutions des dépenses du Borussia Dortmund 3 ans avant leur titre de champion et âge moyen des joueurs achetés

2007/2008
2008/2009
2009/2010
2010/2011
Total
Dépenses (en millions d'euros)
10,7
13,7
10,9
6,4
41,7
Age moyen
27,1
23,5
22,4
21,6
23,65

Le constat est simple : l’OM a dépensé en un été ce que Dortmund a dépensé en 4. Pourtant cela n’a pas empêché ces derniers d’accumuler les bons résultats. Certes, à l’heure actuelle, le modèle économique des grands clubs allemands est l’exemple à suivre. Ceci étant il ne fait pas tout. Si le Borussia a réussi à obtenir ces performances c’est aussi grâce à des investissements intelligents avec notamment des mises sur des jeunes joueurs.  Contrairement aux mouvements du club phocéen cet été le Borussia s’est offert ces joueurs sans pour autant payer le prix fort. Aussi le club de la Ruhr n’a pas axé son recrutement uniquement sur des jeunes sans expérience. Il a aussi su attirer des joueurs en fin de contrat (Piszczek, Großkreutz). Enfin, le Borussia présente d’autres atouts dans sa gestion des joueurs. D’abord son centre de formation est de qualité, citons notamment Schmelzer et Gotze qui arrivaient de l’équipe -19.  A cela le club sait combiner l’intégration rapide des jeunes recrues. Ces qualités en management ont amené beaucoup de potentiels à rapidement devenir des hauts potentiels puis des cadres de l’équipe. Cette qualité a géré l’évolution de ces joueurs est l’un des facteurs clés de la réussite du club allemand.


Parce qu’il faut reconnaître que le Borussia a su détecter et recruter plusieurs diamants bruts (Kagawa, Sahin, Lewandowski, Blaszczykowski). Il est à leur honneur d’avoir su les tailler pour atteindre les résultats que l’on connait. Parmi ces jeunes joueurs beaucoup ont fait partis de cette équipe capable de tenir tête au Bayern deux saisons consécutives et de se hisser en finale de la  ligue des champions. Justement, pour pousser le vice encore plus loin dans la comparaison avec le club phocéen,  regardons combien d’euros ont été dépensés pour les cadres de l’équipe menant le Borussia en finale cette année :

Sommes dépensées
(en millions d’euros)
Année
Valeur estimée (en millions d’euros)
Weidenfeller
0
2002/2003

Lewandowski
4,7
2010/2011
4,5
Hummels
4,2
2009/2010
4,5
Bender
1,5
2009/2010
1,2
Subotic
4,5
2008/2009
2,5
Piszcek
0
2008/2009
2,5
Schmelzer
formé au club
2010/2011
3,5
Gundogan
5,5
2011/2012
6,5
Reus
17
2012/2013
20
Blaszczykowski
3
2007/2008
3,7
Grosskreutz
0
2009/2010
1,2
Gotze
formé au club
2010/2011
1,5
Total
41,9
51,6

41,9 millions d’euros, soit une nouvelle fois la somme dépensée par le club marseillais cet été. Surtout, la somme dépensée est inférieure  de 20% à la somme des valeurs des joueurs au moment de leur transfert dans la Ruhr. Rien de bien rassurant concernant l’efficacité des recruteurs marseillais, ni la capacité du club à évaluer et négocier le prix du transfert. Mais pour ne pas accabler totalement le club et les supporters il faut rappeler que le projet de Dortmund s’est inscrit sur une stratégie réellement débutée en 2008 avec l’arrivée de Jurgen Klopp sur le banc. 

Il lui a fallu deux ans pour construire une équipe capable de rivaliser avec le Bayern, qui en 2010 était focalisé sur la Champions League, et cinq années pour atteindre la finale de cette dernière. Labrune lui parle d’une stratégie de 2 à 3 ans. Peut-être qu’une analyse similaire a déjà été faite dans les bureaux de la Commanderie. Mais les conclusions ne semblent pas avoir été les mêmes. D’abord parce que  l’OM a dépensé 42 millions d’euros cet été soit 10 de moins que le vice-champion d’Europe. Des dépenses pour des joueurs décevants (Imbula, Mendy). Cela éveille quelques craintes puisque le projet Marseillais est de redevenir compétitif d’ici 3 ans justement grâce à ces jeunes. Dans la stratégie du club ces derniers devraient avoir atteint, à l’horizon 2016, une certaine maturité et un niveau capable de rivaliser avec les mastodontes parisien et monégasque.

Ces 42 millions investis font également figure de rupture avec la gouvernance menée par Vincent Labrune depuis sa nomination à la tête du club. En effet depuis 2011, l’ancien président du conseil de surveillance du club, s’assurait de réduire au maximum les dépenses (11 millions d’euros investis en 2011 et 8,4 millions en 2012). Cette rupture dans la stratégie de réduction des coûts commencée il y a deux ans est une belle image du projet Marseillais. 
Un projet encore flou. 

samedi 2 novembre 2013

Les dangers de la taxe à 75%


Cette semaine la rencontre entre le président Hollande et les dirigeants du football français n'a débouché sur aucun compromis. Il y a un peu plus d'un mois, dans un entretien au Figaro, le 30 septembre, Valérie Fourneyron confirmait que les clubs de football seront concernés par la taxe à 75%. Chacun pourra déterminer s’il s’agit d’une bonne ou mauvaise décision. Cependant une chose est sure, si elle se veut symbolique cette taxe risque d’enfoncer encore un peu plus l’industrie du football français.

Un symbole dangereux

Annoncée pendant la campagne présidentielle, la taxe à 75% sera donc bien appliquée aux équipes de football. Evidemment, cette nouvelle taxation des salaires les plus élevés se veut symbolique puisqu’elle ne permettrait à l’état de récolter que 500 millions d’euros selon les estimations. Un rendement réellement modeste donc. Cependant, au-delà du symbole, le risque de voir l’industrie du football s’écroulée n’est pas impossible. Concrètement, cette réforme fiscale va concerner 114 joueurs ou entraineurs, soit environ 10% de la population touchée par la taxation. Le graphique qui suit permet d’observer la répartition des clubs de première division qui devront s’acquitter de ce nouvel impôt (document de la LFP que Slate.fr s’est procuré).

Sans surprise, le PSG arrive en tête, suivi de Marseille, Bordeaux, Lille et Lyon. Ce groupe devra verser environ 37,8 millions d’euros. Quant à la somme dans sa totalité, le président Thiriez l’estime à 44 millions d’euros. Elle a donc largement diminué par rapport à celle annoncée de 80 millions d’euros. En effet, information souvent oubliée, cette taxe dispose d’un plafonnement à 5% du chiffre d’affaire. Cependant, ce plafonnement ne se fait véritablement ressentir que pour les grosses écuries, ou plutôt que pour le PSG. L’équipe parisienne voit en effet fondre son dû d’environ 45% soit 24 millions d’euros au lieu de 43,5 ! Ce qui correspond au budget de certaines équipes de la Ligue 1 (Bastia, Reims, Ajaccio). C’est aussi un autre moyen de continuer à dévoiler des inégalités au sein même du championnat. Finalement, seuls Paris, Marseille, Lille et Lyon pourront se satisfaire de ce plafonnement. Voilà sans aucun doute une nouvelle illustration de la « justice sociale » voulue par le gouvernement. (Pour davantage d’informations concernant cette partie je vous invite à lire l’article de Grégoire Fleurot)

Néanmoins, malgré les efforts que semble vouloir consentir le gouvernement cette réforme reste dangereuse pour l’élite du football français. D’une part les clubs ne sont pas prêts à encaisser une telle réforme. Dans ce cas, la faute doit leur être imputée. Effectivement, bien qu’annoncée depuis février 2012, les salaires n’ont pas pour autant diminué en Ligue 1. Même si des équipes comme Saint Etienne ont mis en place un « salary cap » (un salaire maximum est mis en place), d’autres comme Lyon n’ont pas été capables de vendre des joueurs aux salaires important (Gomis, Briand) et les dépenses continueront alors de s’accroitre. 

Repousser les investisseurs 

En plus de créer une source de dépenses supplémentaires pour des clubs qui ne peuvent se le permettre, cette taxe est aussi un mauvais message envoyé aux éventuels investisseurs étrangers. D’abord, une question se pose, si les Qataris avaient supposé la possibilité d’une telle réforme seraient ils venus racheter le PSG ? Leur motivation aurait-elle été la même à l’idée de devoir reversé encore 20 millions d’euros en taxe ? Et ce bien qu’ils disposent de sommes astronomiques ? La mondialisation du football européen attire des investisseurs et en conséquence, ceux-ci arrivent désormais de l’étranger. 

En Premier League les quatre meilleures équipes ont à leur tête des investisseurs non britannique. Ceux-ci n’hésitent pas à investir dans ces superpuissances du football mondial compte tenu de la renommée de ces dernières. Mais ils profitent aussi des avantages fiscaux que le Royaume-Uni permet à ses équipes de football d’avoir. En France, aucun club ne rejette la possibilité d’accepter l’offre d’un riche oligarque si l’occasion se présente. L’Olympique de Marseille a déjà frôlé la vente en 2007 (heureusement évitée), Aulas a lui-même toujours dit que les investissements Qataris sont une « aubaine » pour le football Français. 

La mise en place de cette réforme est donc en contradiction avec les déclarations quotidiennes du gouvernement, voulant attirer des investissements en France. Des clubs comme Marseille ou Lyon ont les qualités pour attirer ces milliardaires. Mais actuellement, le message envoyé pourrait en freiner plus d’un. Investir oui, payer plus surement pas. Certes, se sont ces grands investisseurs qui ont fait basculer l’équilibre du football européen. Le nouvel ordre économique est dangereux et les sommes deviennent trop importantes. D’ailleurs, la ministre des sports a évidemment raison lorsqu’elle s’inquiète pour un sport devenant une « bulle spéculative prête à exploser à tout moment ». Mais elle ne doit pas s’arrêter au football français. 

Il s’agit aujourd’hui d’un problème global concernant avant tout l’Europe. Passer une telle réforme ne se montrera efficace qu’à l’échelle Européenne et pourrait être une des solutions pour contrer ces problèmes de spéculation. Sur le territoire français cette réforme n’est rien d’autre qu’une source d’affaiblissement supplémentaire d’un secteur qui n’en n’a pas besoin. On agrandit encore un peu plus les écarts (économiques puis sportifs) qui séparent le championnat de France de ses rivaux anglais, allemands, italiens, espagnols et désormais portugais. 

Début d’un cercle vicieux ?

Alors quels sont les véritables risques de l’application de la réforme des 75% ? D’abord, les équipes ne disposant pas d’un puits de cash sans fond vont devoir vendre. Vendre pour diminuer les masses salariales, et augmenter leurs chiffres d’affaires. Et puisque la taxe concerne les salaires au-delà du million d’euros il faudra vendre les meilleurs joueurs, en supposant que les meilleurs sont les mieux payés. Le problème qu’il se pose ici c’est qu’en imposant ainsi les clubs, le pouvoir de négociation des équipes étrangères va encore grandir. Déjà que l’attraction des quatre grands championnats est un argument souvent évoqués par les joueurs pour partir. 

Les équipes étrangères pourront aussi s’appuyer sur le fait que les formations de ligue 1 devront vendre pour s’affranchir du nouvel impôt. Alors qu’on espère une amélioration de la qualité du championnat avec la croissance du PSG et de Monaco, on risque surtout de voir un écart se creuser davantage entre ces deux clubs et les autres. Si ce pouvoir de négociation est déjà fort à l’heure actuelle, notamment grâce aux divers avantages fiscaux dont peuvent bénéficier les clubs anglais(premier importateur de joueurs de Ligue 1), il ne faudra pas s’étonner de le voir encore plus puissant d’ici les prochains mercato au grand dam des équipes françaises et de ses spectateurs.

Et les supporters ?

Justement, dans son entretien, Valérie Fourneyron n’évoque jamais le mot supporter (ou un synonyme). Elle admet même qu’elle adore le football sans dire un mot sur le public. Elle parle des droits TV, des stades, des transferts mais le supporter ne semble pas appartenir au milieu. Et pourtant c’est bien nous qui allons être aussi directement concernés par cette taxe. En plus de l’hypothèse de voir un spectacle en perte de qualité, les supporters risquent de connaître des augmentations tarifaires dans le prix des places, ou produits annexes. Et oui, si l’on augmente les dépenses d’un côté, il faut alors augmenter les revenus de l’autre. 

Etant donné que le pouvoir de négociation avec les clubs étrangers risque de s’affaiblir, que les revenus des droits TV ne semblent pas partis pour augmenter les clubs vont bien devoir trouver des ressources quelque part ! Et vous me le donnez en mille ces ressources elles sont dans vos poches ! Comme quoi, une taxation qui se veut symbolique, visant à l’origine les plus riches, pourrait finir par concerner la population générale. Bien que cela ne nous concerne qu’à moindre mesure, avec en fin de compte une augmentation que de quelques euros. Elle n’en restera pas moins « symbolique ». 

Et puis s’il on veut aller plus loin dans la réflexion, posons-nous la question de savoir si le footballeur n’est pas un artiste ? Etant donné que ces derniers seront exemptés de cette réforme fiscale. Certes les sportifs de haut niveau ont un statut de salarié d’une société. Mais justement, cette société appartient à l’industrie du spectacle, elle emploie donc des artistes invités à se produire. Mais ne nous éloignons pas des notions de business et ouvrons cette parenthèse philosophique à ceux en mesure d’y répondre.